Dessins
Que celui qui entre dans une galerie et se trouve d’emblée confronté à des parois recouvertes de dessins d’Armand C. Desarzens (qui ne ressemblent à rien de connu, et c’est tant mieux) ne soit pas étonné si un vertige le prend, car il y a du vertigineux dans ces œuvres ainsi groupées.
On lui conseillera donc de se rendre premièrement dans une salle du fond pour y admirer les gravures du même artiste, plus accueillantes, sans doute, à une première vision, afin de se familiariser avec son univers.
Revenant ensuite aux dessins (que l’artiste, par commodité, ou de guerre lasse, s’est résigné à nommer ainsi, alors qu’ils font appel à différentes techniques et pourraient aussi bien être appelés collages ou même, pourquoi pas ?, sculptures sur papier), il fera bien de les apprivoiser un à un (et s’il y prête un œil attentif, il pourra même y entendre de la musique…), d’abord de loin, puis de très près, et de muer ses yeux en loupes.
On connaît en effet le travail d’orfèvre de Desarzens sur l’infiniment petit, qui se déclinait déjà en une multitude de cellules pour composer ses sculptures, discipline à laquelle il a hélas renoncé depuis déjà de nombreuses années.
Maintenant, par où s’immiscer dans ce labyrinthe ? Il s’agit de trouver la brèche qui nous fera pénétrer dans la troisième dimension.
Tiens ! ne serait-ce pas plutôt le plan d’une grande ville, - celle qui s’anime la nuit au plus profond de nos sommeils ? On discerne bien les artères qui la sillonnent et le sang bleu qui s’y écoule.
Voyez toutes les fenêtres qui s’allument au gré de votre déambulation. Chacune ne vous offrira que la vision furtive d’une scène tronquée, - morceau de vie, fragment de drame peut-être, éclair de rêve : à vous d’en forger les clefs !
Mais non ! vous n’y êtes pas : c’est le grand miroir de l’univers qui s’est brisé et chacun de ses éclats reflète un écho de sa longue histoire.
A moins qu’on ne soit entré dans l’œil d’une mouche, - mouche qui tournerait à toute allure autour de la Terre et engouffrerait dans ses orbites une mosaïque d’images supersoniques, délire de kaléidoscope enfiévré qui se serait ouvert les veines.
Alors, si la tête vous tourne, tournez-vous vers cette autre série de dessins que leur auteur a enrichi d’un rehaut.
En bon chirurgien, l’artiste muni de fins scalpels a greffé dans le tissu de l’œuvre un lambeau de gravure (que l’on a déjà pu voir ailleurs ou non) : fragment de nuit tressée, face simiesque empêtrée de dentelles, savant binoclard assailli par des exocets, cerveau atomisé, archer mystique transperçant ses brumes intérieures, orchestration des électrons par un Filiformien ou encore combat de Thésée avec son monstre – retour au labyrinthe, notre boucle est bouclée.
Jean-Pierre Vallotton, poète
Lausanne